SAINT THEODULE, pasteur pour notre temps
Dans les grands dictionnaires, Théodule (ou Théodore) d’Octodure passe le plus souvent inaperçu, ignoré pour laisser place à de multiples homonymes plus célèbres : deux papes, un antipape, des martyrs et des moines, un théologien controversé de l’école d’Antioche (Théodore de Mopsueste), plus tard un réformateur calviniste (Théodore de Bèze).
« Notre » Théodore, cependant, a bien existé, et l’histoire en témoigne – même si ses contours se confondent parfois avec ceux des légendes qui l’accompagnent.
Les «légendes»
Dans l’iconographie populaire, on reconnaît saint Théodule à sa crosse et son épée, symboles du double pouvoir temporel et spirituel que revendiquent au Moyen Age ses successeurs les évêques de Sion et qui représentent toujours les insignes du diocèse. Historiquement, cette « donation » du comté du Valais par le roi Rodolphe III de Bourgogne date de 999. Mais dès la fin du XIIIème siècle, l’évêque de Sion et son Chapitre cathédral recourent, pour justifier le principe de leur pouvoir temporel, à des textes liturgiques mentionnant une donation du Valais par l’empereur Charlemagne à « saint Théodore, évêque de Sion » et ignorant par là les quelques 400 ans qui séparent
les deux hommes.
Cette tradition anachronique, appelée plus tard «donation caroline» en référence à Charlemagne et qui rendait celui
-ci contemporain de Théodule, survivra plusieurs siècles.
Les autres attributs traditionnels de saint Théodule émanent aussi des légendes qui l’entourent. La grappe de raisin, d’une part, signe de la culture de la vigne qu’il aurait introduite (et avec quel succès!) dans nos régions
alors qu’on sait désormais qu’elle était déjà établie en Valais bien plus tôt. La cloche et le diablotin, d’autre part, qui
évoquent en de multiples versions plus ou moins convergentes un épisode qui n’est pas sans rappeler le
fameux thème de Faust, ou celui du «pont du diable». Récompensé pour avoir averti le Pape d’un complot qui se tramait contre lui, Théodule se voit offrir, à Rome, une cloche. Celle-ci est fort belle mais lourde, et Théodule ne sait comment la ramener chez lui. Il décide alors de la confier au diable et de lui promettre son âme en échange de ce service, pour autant que le diable s’en acquitte dans un certain délai. Mais arrivé dans les Alpes, notre évêque demande à Dieu de raccourcir les jours, pour que le terme convenu expire avant que le diable arrive à Sion. Le diable perd son pari; de rage il jette la cloche par terre, qui se trouve souvent représentée fêlée aux pieds de l’évêque vainqueur.
Ces traditions légendaires ne sont pas sans valeur. Elles dressent déjà pour nous le portrait d’un homme de Dieu, audacieux et profondément confiant en la bienveillance divine, attaché aussi à la vie de son peuple et
de ses travaux. Sans contredire ces qualités, les récentes analyses historiques permettent de préciser et de mieux saisir la figure de ce pasteur.
L’histoire
Au IVème siècle, le territoire de la Suisse actuelle est intégralement soumis à l’Empire romain. Le christianisme y pénètre en remontant les deux voies romaines qui y conduisent : le sillon rhodanien depuis Lyon d’une part, l’axe alpin du Grand‐Saint-Bernard d’autre part.
La plus ancienne mention chrétienne de Suisse, si l’on excepte quelques fragments archéologiques difficiles à situer, est l’inscription lapidaire du monogramme christique qui se trouve à l’Hôtel de Ville de Sion et date de 377. C’est précisément à cette époque que prend place l’existence de saint Théodule.
Deux faits surtout retiennent l’attention, établis avec certitude.
Tout d’abord, Théodule participe au concile d’Aquilée près de Venise en 381, convoqué par l’évêque de Milan saint Ambroise. Théodore s’y présente comme évêque d’Octodure (episcopus Octodorensis), et souscrit à la condamnation de deux évêques ariens. Fruit de l’enseignement du prêtre égyptien Arius, l’arianisme repose en fait sur une double hérésie
: en situant le Fils comme engendré dans le temps et inférieur au Père, il nie la divinité du
Christ; mais en niant aussi l’existence de l’âme humaine de Jésus au motif qu’elle s’opposerait au Verbe, il conteste également la pleine humanité du Seigneur.
En suivant Saint Ambroise dans sa condamnation de l’arianisme, le premier évêque en Valais apparaît donc comme un théologien averti, engagé dans les disputes intellectuelles de son temps et soucieux de défendre l’entier du mystère du Verbe incarné.
Ensuite, Théodule construit une petite église en l’honneur des martyrs d’Agaune à St Maurice. C’est l’historien Eucher qui le rappelle au Vème siècle : l’endroit où les corps des soldats avaient été ensevelis fut révélé à l’évêque Théodore (revelata traduntur), qui les fit transporter à Agaune où il fit bâtir une basilique près du rocher. Si la date précise de cette translation ne peut être établie avec certitude, on la situe volontiers à l’époque où une
semblable révélation permet à saint Ambroise, vers 386, de retrouver les corps des martyrs Gervais et Protais.
Comme le célèbre évêque de Milan, Théodule œuvre donc à diffuser le culte des martyrs ; il fait revivre la mémoire d’un événement passé pour donner souffle à son engagement missionnaire et pastoral dans le contexte d’une chrétienté naissante.